Par Thierry Leclère dans Télérama
Amis, compagnons de route, simples militants... Hier après-midi, 4 000 personnes se sont rendues dans la salle parisienne de la Mutualité, qui était pleine pour rendre hommage à “Bensa” (Daniel Bensaïd), le philosophe marxiste décédé la semaine dernière.
Dimanche après-midi, à Paris. La salle de la Mutualité est pleine à craquer. Daniel Bensaïd, l’écrivain et philosophe qui a tant et tant fréquenté la Mutu, ce haut lieu de la gauche française, est au centre de la scène. Au beau portrait de jeunesse, en noir et blanc, répond l’accent toulousain des archives sonores, extraits des joutes oratoires qu’affectionnait l’intellectuel marxiste.
A la palette graphique, le dessinateur Charb envoie en écho quelques salves de rires. Jolis coups de pied à la mort pour un Daniel Bensaïd qui, se sachant atteint du sida, conservait son ironie mordante : « Le dernier Poilu est mort. On va bientôt faire le décompte des anciens soixante-huitards… » Le chant puissant, a capella, d’Emily Loizeau fait frissonner la salle : l’ancienne élève du prof de Paris VIII rend hommage à celui qui l’a aidée « à construire (sa) pensée ». Un peu plus tôt, la gorge nouée, Edwy Plenel, l’ancien journaliste de Rouge, l’hebdomadaire de la Ligue Communiste Révolutionnaire, et actuel directeur de Mediapart, partageait à la tribune les meilleurs moments de son amitié chahutée avec le philosophe : « Je vois Daniel comme un grand frère aussi vigilant qu’affectueux ; je le vois en merle moqueur comme dans la chanson Le Temps des cerises, cet hymne de la Commune qui lui allait si bien. » Ethique de vie, morale de l’engagement : tous les amis de « Bensa » qui défilent sur scène en cet après-midi d’émotion vraie (rien à voir avec une réunion d’anciens combattants) témoignent de « l’élégance lumineuse » du penseur, de son amitié exigeante et de l’immense culture politique du militant cofondateur de la Ligue et du Nouveau Parti Anticapitaliste, organisateur de cet hommage.Mais c’est peut-être le philosophe Alain Badiou qui a le mieux donné le ton de cet hommage fraternel, plein de chaleur et de souvenirs partagés ; l’intellectuel marxiste qui a insisté sur ses « divergences tactiques » et ses désaccords avec ce « compagnon inflexible » a conclu ainsi son témoignage intime : « Des compagnons proches, on en a toujours. De vrais compagnons lointains, c’est peut-être plus rare. Daniel Bensaïd en était un… »
« Un ami d’une vie », a dit aussi, paraphrasant un proverbe arabe, Elias Sanbar, l’ambassadeur de Palestine à l’Unesco, qui a souligné l’engagement de Daniel Bensaïd pour la cause palestinienne.
Reste à lire ou à relire le « communiste hérétique » Daniel Bensaïd, militant tenace, ami exigeant, marxiste « allergique à toute orthodoxie doctrinaire » (Marx, mode d’emploi, 2009), comme disait hier sa famille de cœur. Relire l’auteur prolifique du Pari mélancolique (Fayard, 1997) ou de Jeanne de guerre lasse (Fayard, 1991), qui avait pour devise personnelle : « Il faut lutter, au moins pour s’épargner la honte de ne pas avoir essayé… »