Ni la pensée ni la poésie ne tombent du ciel : elles viennent de la terre que foulent nos pieds… Le poète et le penseur sont des arpenteurs, des nomades du monde et d’eux-mêmes…
C’était Daniel le penseur et c’est Serge le poète, tous les deux militants, dont ce livre préserve l’amitié et croise les textes.
La poésie de Serge Pey est d’abord orale, parfois oraculaire : Serge a la voix qui porte… et les pieds sur terre, qui délimitent, frappent (Tarentelle ! Flamenco ! Coups de pied dans la fourmilière…). Ils piétinent parfois le sang des tomates, métaphores concrètes.
Car cette poésie se confronte aux choses : au fur et à mesure que le poème proféré va vers sa fin, une feuille de papier brûle, une eau s’écoule, un petit moulin à musique joue L’Internationale… Ce ne sont pas des symboles mais des associations visibles, des actes simultanés, des coïncidences révélatrices, des équivalences.
Un matérialisme poétique, en quelque sorte, qui s’étend à l’écrit. A la question : que faire des textes de nos classiques et de nos modernes (Trotski, Bensaïd, entre autres) ? Serge répond : des poèmes !
Comment ? Par un autre espacement sur la page, une nouvelle répartition de la blancheur – ce silence pour les yeux –, un détournement simple par redécoupages, alignements divers, inversions de valeurs (bandes planches du pilleur de textes sur le fond noir ou rouge des détournements)… Il s’agit d’une translation, d’un déplacement de l’objet initial sur une page nouvelle, pour une nouvelle condensation du sens.
Ce travail place au même rang, sur la même ligne, des textes dont le poids et l’histoire sont différents ; il répartit autrement leurs charges révolutionnaires, rendues ainsi équivalentes, politiquement et poétiquement.
Pourquoi ? Pour les libérer de leur gangue, retrouver leur éclat, afin de penser et d’agir…
Lautréamont, au temps de la Commune, disait : « La poésie doit être faite par tous ! » La révolution aussi…
Beau programme : au travail !
Par Bernard Chamayou sur npa31.org